vendredi 11 septembre 2020

2020 - Père Augustin LIMAGNE*

Père Augustin LIMAGNE, auprès des hommes*

6 commentaires:

  1. Bonjour à toutes et tous,
    je vous présente…
    Le père Augustin LIMAGNE* 1872_1919
    1916 - Un prêtre dans les tranchées : Augustin Limagne

    Et, en cet hiver 1916, toujours aussi la neige, la pluie, le froid, le brouillard intense. La terre argileuse, imperméable, ruisselle d'eau ; le sol, boueux, glisse sous les pieds. La Vezouze, le ruisseau de Leintrey, leurs petits affluents, débordés, transforment en lacs, en égouts, vallonnements, trous d'obus, boyaux, tranchées. Les officiers, que leurs déplacements successifs ont mis à même de faire des comparaisons, sont unanimes à déclarer que ce coin de Lorraine est l'un des plus épouvantables qu'ils aient vus.
    Chaque jour, le P. Limagne s'en ira faire la visite du front attribué à la 255e brigade : c'est la moitié droite du secteur, à partir du ruisseau de Leintrey ; la zone aussi la plus mouvementée, du moins en face de Reillon. Successivement, par périodes de huit jours, le 167e et le 168e viennent y tenir les lignes ; le régiment relevé s'en va, dans les villages de l'arrière, jouir d'un repos relatif. Les unes après les autres, jour par jour, d'une façon méthodique, le P. Limagne verra les diverses unités qui sont à la peine. A ces visites, il apporte son esprit d'organisation, de régularité. Bientôt il connaîtra si bien tous les coins et recoins de nos lignes que souvent il sera appelé à l'état-major de la Division pour donner des renseignements sur telle ou telle tranchée ; et le général Riberpray pourra s'écrier : « Il n'y a pas d'officier qui connaisse mieux le secteur que Limagne ».

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  2. « Dès trois heures du matin, il est sur pied. Après avoir soigneusement pris son réconfort spirituel : la méditation, le saint sacrifice de la messe, en dépit de la canonnade, de la neige, du vent, de la pluie, de la boue, il part de Bénaménil. Casque en tête, au cou le ruban noir et jaune qui suspend la croix d'aumônier, la soutane raccourcie aux genoux pour pouvoir franchir les obstacles, par-dessus la soutane une capote d'infanterie avec la croix de Genève ; guêtré de cuir, de lourds souliers aux pieds, un solide bâton à la main, et... les poches profondes, une ou deux musettes de toile, une énorme sacoche de cuir noir, bondées de tous les cadeaux qu'il destine aux soldats. Vingt à-trente kilos de charge. En cet attirail, il a vraiment l'air d'un portefaix. Dans sa poche aussi, son repas de midi : du pain avec un peu de chocolat ou de viande froide. De son grand pas régulier, il marche. En route, il s'adjoint gaiement le premier compagnon venu, agent de liaison, cuistot, brancardier, toujours prêt à le soulager dans son âme et à se surcharger encore d'une partie de son fardeau matériel.

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  3. Il arrive aux boyaux qui relient l'arrière aux tranchées. Dès lors, quel voyage ! Tour à tour, ces couloirs sont fondrière ou ruisseau ; malgré tous les efforts du génie divisionnaire, pour en maintenir, par des planches et des poutres, les parois, des éboulements se produisent, sans parler des marmites ennemies qui, régulièrement, presque à jour fixe, viennent en faire un gâchis innommable. L'eau atteint, dépasse souvent la hauteur des genoux ; l'aumônier patauge dans cette boue, tantôt liquide, tantôt à moitié solide, s'enlise dans les terres éboulées. Entre les tranchées de seconde ligne établies sur une crête, au nord de Reillon, et celles de première ligne, creusées sur la déclivité en face, le fameux boyau de Toul circule, long de 600 mètres, avec ses multiples zigzags ; celui-là est vraiment un égout collecteur ; on dirait que toutes les eaux du voisinage s'y donnent rendez-vous ; quand il pleut, la boue liquide monte jusqu'à la ceinture. Pour le parcourir, il faut près d'une heure. En bas, au fond du ravin du bois Boué, le marécage habituel est devenu, par l'effet de la bataille, un hideux cloaque. Pour le franchir, il y a ce que l'on a galamment appelé « le Passage de l'Opéra » : un pont de rondins, bordé, à droite et à gauche, d'un amoncellement de grandes caisses de bois sans fond ni couvercle, remplies de terre, rempart contre les éclats d'obus, les balles, les regards indiscrets de l'ennemi.
    Très souvent, soit que les boyaux, irrémédiablement obstrués, entravent sa marche, soit qu'il veuille couper au plus court pour visiter le plus de postes possible, le P. Limagne en sort, s'avance en terrain découvert, impassible, froidement brave, sous la mitraille du Boche. Un jour, un prêtre-brancardier se permet de lui donner des conseils de prudence. « Mon ami, répond le Père, si on voulait être prudent dans les circonstances actuelles, on ne mettrait pas un pied l'un devant l'autre. La position que vous me dites dangereuse, je veux la visiter avant ce soir. Il doit y avoir là des blessés ». Et, quelques instants après, il sort de l'abri et part.

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  4. Autre ennemi redoutable : le sol, martelé, creusé de trous d'obus qui chevauchent les uns sur les autres, profonds de deux mètres et demi, pleins d'une eau vaseuse. Sur la terre gluante, son pied glisse, il trébuche, tombe dans l'un ou l'autre de ces entonnoirs. Un jour, de son gourbi, un capitaine le voit s'embourber dans un de ces trous fangeux, sous un feu d'artillerie que les Allemands, après l'avoir aperçu, dirigent sur lui, sortir seul de cette position périlleuse, et s'avancer aussi calme, aussi souriant que s'il marchait dans un parc. Et cet officier ajoute : « Combien de fois, tout comme le Christ, est-il tombé sur ce sol bouleversé ? Dieu seul le sait »

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  5. Enfin, après avoir affronté la mitraillera pluie, la neige, la fatigue d'une longue marche à travers les innombrables détours d'un maquis de boyaux, les éboulements, les trous d'obus perfides, il arrive à la tranchée, trempé jusqu'aux os, « vêtu de boue ». Dans la tranchée elle-même, aux parois, sur le sol, toujours de la pluie, de la boue. Tous les quatre ou cinq cents mètres, un guetteur est posté à son créneau, l'œil braqué vers les positions de l'ennemi. Un bon et large sourire sur les lèvres, le regard très doux, caressant, la main cordialement tendue, le P. Limagne l'aborde. Il lui adresse ses paroles fraternelles ; avec lui, il s'installe au créneau et, par la fente étroite, à travers une bande de terrain où s'entassent réseaux barbelés, chevaux de frise, pieux, débris de sacs à terre, de fils de fer hachés, emmêlés par les torpilles, tous les deux surveillent la tranchée ennemie, toute proche, il quelques mètres à peine. Et pendant ce temps-là, souvent, une détonation bruyante retentit, un lourd obus part d'en face et vient s'abattre dans notre tranchée. Instinctivement aumônier et guetteur tournent aussitôt les yeux pour constater les effets de l'éclatement formidable : gerbe de projectiles lancés dans tous les sens, tranchée coupée, démantelée, chaotique. Une fois, l'engin tombe à un mètre d'eux ; mais, sans éclater, il s'enfonce dans la terre molle. Les obus français passent au-dessus de leurs tètes, les frôlent presque, tant le point de mire, la tranchée adverse, se trouve rapproché. Du reste, les préférences du P. Limagne vont toujours aux coins les plus exposés, là où le danger menace davantage, où il y a le plus d'hommes à soutenir.

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  6. Tout en parlant, il puise dans son magasin ambulant et, avec un doux sourire, à son interlocuteur il tend un petit cadeau : paquet de tabac ou de cigarettes, pipe pour remplacer celle qui a été perdue au dernier coup de main, savon (dans cette boue il y a si souvent à en faire usage !), papier à lettre, crayons, chocolat, bonbons, mouchoirs, tricots, cache-nez, chaussettes bienfaisantes à des pieds toujours dans l'eau, brochure qui, aux heures d'attente, fera trouver le temps moins long et fortifiera le cœur, etc. Ces dons sont extrêmement variés. Et, chez le grand pauvre qu'est le soldat, avec la difficulté pour lui de s'approvisionner, ces articles divers provoquent une reconnaissance émue, qui contribue largement à la cordialité des rapports. Et il sait aussi découvrir des besoins plus particuliers ; aux soldats provenant des régions envahies, aux déshérités, à tous ceux qui se trouvent dans une situation gênée, il vient en aide sans ostentation, s'ingéniant à tenir cachés ses bienfaits.
    Et l'aumônier s'en va trouver un autre guetteur à son créneau. Très vite aussi, il a su dénicher les cagnas ou abris. Pour descendre le couloir bas, étroit, qui y mène, il lui faut courber sa haute taille. En se répétant, l'opération le laisse tout courbaturé. A six mètres sous terre, dans cette chambre aux parois suintantes, en compagnie des rats et des poux, il trouve une vingtaine d'hommes, serrés sur des bancs grossiers, les pieds dans une épaisse flaque d'eau boueuse. Ils essaient de somnoler après leur service de nuit, ou, la pipe à la bouche, se réchauffent autour du poêle et s'apprêtent à reprendre leur tour de garde. Là, encore, poignées de main et sourire où passe le don de soi total, paroles sorties du fond du cœur, mêmes fouilles dans les insondables poches de sa capote et de sa soutane, dans ses musettes ou sa sacoche.…

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