Il était une fois… Je suis né(e) Jean-Pierre Pruvot le 11 novembre 1935 dans le village d’Isser, département de Grande Kabylie, en Algérie. Mon enfance, bien que globalement heureuse, est en partie gâchée, du plus loin qu’il me souvienne, par l’opposition entre, d’une part, ma volonté d’être une fille, et même la certitude que je le suis et le resterai, et d’autre part, les regards, les paroles de mon entourage, tous les obstacles de la réalité qu’on oppose à ma vérité intérieure. Au fur et à mesure que le temps passe, je sens peser une condamnation extérieure qui m’oblige à une constante contention (voix, coiffure, vêtements, gestes, démarche…) pour éviter le scandale, surtout après la mort de mon père, qui me fragilise (j’ai alors 14 ans).
Avant d’abandonner (j’ai 16 ans 1/2) je découvre au casino tout proche une tournée du Carrousel, avec Coccinelle, qui en est à ses débuts. Mon sort est fixé.
Mon émancipation, le cabaret… Je débute chez Madame Arthur à 18 ans (âge légal). La police est alors tatillonne, interdit le port du vêtement féminin. Il faut lutter, tenir tête, ne pas lâcher. En septembre 1954, je rentre au Carrousel. Je travaille et j’habite avec mon amie Coccinelle qui fait tout pour m’aider. L’année suivante, Coccinelle part en tournée, je suis vedette au Carrousel. Un an plus tard, c’est moi qui pars en tournée.
Se réaliser… Coccinelle a découvert les oestrogènes, elle découvre à Casablanca le docteur Burou. Elle se fait aussitôt opérer, alors que j’attends deux ans avant d’en faire autant. Cela brouille mes amours avec mon ami. Le Carrousel change d’adresse et devient contigu à Elle et Lui, club « féminin » où je fais la connaissance d’une « garçonne », Ute, qui prend le nom d’Eric et devient mon inoubliable partenaire. Nous présentons ensemble des numéros saphiques tant chez Elle et Lui qu’au Carrousel et dans les tournées.
La Guerre d’Algérie… Lorsque Coccinelle se marie, je n’ai pas encore obtenu mon état civil féminin. La guerre d’Algérie, suivie de la sécession, me plonge dans l’embarras. J’attends qu’on rapatrie mon état civil. En désespoir de cause, je me rends à Alger où les autorités Algériennes m’accordent aussitôt le changement : Jean-Pierre devient Marie-Pierre, née de sexe féminin. Ce jugement s’applique en France automatiquement, sans procédure d’exequatur.
Tout en travaillant au Carrousel, je me remets aux études. Je passe mon bac à 33 ans. Je rentre à la Sorbonne. Licence 1972. Maîtrise 1973. Capes 1974. C’est cette même année que je suis nommée professeur de lettres à Cherbourg. C’est pour moi un grand succès, mais ma séparation d’avec le Carrousel me fait beaucoup souffrir. Je rentre après deux ans en région parisienne dans un collège de réputation très moyenne, « Pablo Picasso » à Garges-lès-Gonesse. Je m’y attache et j’y reste 25 ans. On me décore des Palmes Académiques. Jamais mon passé de « travesti » n’a transpiré tout au long de ma carrière à l’Education Nationale.
Épilogue… J’avoue, en faisant le bilan, avoir l’impression de ne pas avoir accompli tout ce que je pouvais faire dans ma vie : je me suis tenue à l’écart de la grande querelle de la guerre d’Algérie. C’est que la complexité de mes difficultés m’accaparait entièrement. En ce qui concerne les grandes orientations de ma vie personnelle, j’ai la certitude d’avoir pris les bonnes décisions au bon moment.
Il était une fois…
RépondreSupprimerJe suis né(e) Jean-Pierre Pruvot le 11 novembre 1935 dans le village d’Isser, département de Grande Kabylie, en Algérie. Mon enfance, bien que globalement heureuse, est en partie gâchée, du plus loin qu’il me souvienne, par l’opposition entre, d’une part, ma volonté d’être une fille, et même la certitude que je le suis et le resterai, et d’autre part, les regards, les paroles de mon entourage, tous les obstacles de la réalité qu’on oppose à ma vérité intérieure. Au fur et à mesure que le temps passe, je sens peser une condamnation extérieure qui m’oblige à une constante contention (voix, coiffure, vêtements, gestes, démarche…) pour éviter le scandale, surtout après la mort de mon père, qui me fragilise (j’ai alors 14 ans).
Avant d’abandonner (j’ai 16 ans 1/2) je découvre au casino tout proche une tournée du Carrousel, avec Coccinelle, qui en est à ses débuts. Mon sort est fixé.
Mon émancipation, le cabaret…
Je débute chez Madame Arthur à 18 ans (âge légal). La police est alors tatillonne, interdit le port du vêtement féminin. Il faut lutter, tenir tête, ne pas lâcher. En septembre 1954, je rentre au Carrousel. Je travaille et j’habite avec mon amie Coccinelle qui fait tout pour m’aider. L’année suivante, Coccinelle part en tournée, je suis vedette au Carrousel. Un an plus tard, c’est moi qui pars en tournée.
Se réaliser…
Coccinelle a découvert les oestrogènes, elle découvre à Casablanca le docteur Burou. Elle se fait aussitôt opérer, alors que j’attends deux ans avant d’en faire autant. Cela brouille mes amours avec mon ami. Le Carrousel change d’adresse et devient contigu à Elle et Lui, club « féminin » où je fais la connaissance d’une « garçonne », Ute, qui prend le nom d’Eric et devient mon inoubliable partenaire. Nous présentons ensemble des numéros saphiques tant chez Elle et Lui qu’au Carrousel et dans les tournées.
La Guerre d’Algérie…
Lorsque Coccinelle se marie, je n’ai pas encore obtenu mon état civil féminin. La guerre d’Algérie, suivie de la sécession, me plonge dans l’embarras. J’attends qu’on rapatrie mon état civil. En désespoir de cause, je me rends à Alger où les autorités Algériennes m’accordent aussitôt le changement : Jean-Pierre devient Marie-Pierre, née de sexe féminin. Ce jugement s’applique en France automatiquement, sans procédure d’exequatur.
Tout en travaillant au Carrousel, je me remets aux études. Je passe mon bac à 33 ans. Je rentre à la Sorbonne. Licence 1972. Maîtrise 1973. Capes 1974. C’est cette même année que je suis nommée professeur de lettres à Cherbourg. C’est pour moi un grand succès, mais ma séparation d’avec le Carrousel me fait beaucoup souffrir. Je rentre après deux ans en région parisienne dans un collège de réputation très moyenne, « Pablo Picasso » à Garges-lès-Gonesse. Je m’y attache et j’y reste 25 ans. On me décore des Palmes Académiques. Jamais mon
passé de « travesti » n’a transpiré tout au long de ma carrière à l’Education Nationale.
Épilogue…
J’avoue, en faisant le bilan, avoir l’impression de ne pas avoir accompli tout ce que je pouvais faire dans ma vie : je me suis tenue à l’écart de la grande querelle de la guerre d’Algérie. C’est que la complexité de mes difficultés m’accaparait entièrement. En ce qui concerne les grandes orientations de ma vie personnelle, j’ai la certitude d’avoir pris les bonnes décisions au bon moment.